Orages en mer : comment ça marche ?
Depuis plusieurs jours, le temps est spécialement instable et orageux, notamment à cause d’une dépression stationnant entre le golfe de Gascogne et la France, alors qu’un vaste anticyclone s’étire de l’Italie à la Scandinavie. Ce conflit de masses d’air engendre des orages violents et qui s’enchaînent. Explications.
Si les orages et notamment les fameux cumulonimbus sont la hantise des pilotes de ligne – même sur les gros porteurs du type A380 ou Boeing 747 –, il en est un peu de même sur un bateau. Qui n’a pas vu sous un orage le vent monter brutalement à 40-50 nœuds sous l’effet des rafales tout en tournant de 180 degrés et plus en quelques minutes ? À part le radar, et encore pas toujours, il est bien difficile de prévoir la trajectoire de l’orage et sa violence. Si, malgré les outils (les modèles numériques GFS, par exemple) dont disposent les météorologues de Météo France ou Météo Consult
– ces derniers peuvent prévoir un épisode orageux sur un département –, il reste difficile de «localiser» un orage à cinq milles près, et on l’a encore vu le dimanche 3 juin, quand la ville de Morlaix (Finistère) a été noyée sous les eaux en très peu de temps alors que les villes limitrophes ont été épargnées ou presque.
En France, les situations orageuses sont souvent soumises à une confrontation d’air chaud et humide venant d’Espagne ou du Maghreb, quand des hautes pressions du Nord de l’Europe apportent de l’air froid.
Comment se forme un orage ?
Quand l’atmosphère est instable avec de l’air chaud à terre et de l’air froid en altitude, ce conflit de masses d’air engendre de manière brutale des précipitations importantes, de la grêle et des vents violents qui restent localisés. Un orage se développe presque toujours à partir d’un cumulus congestus, ce nuage bourgeonnant à l’aspect de chou-fleur qu’on aperçoit depuis le large se développer sur la côte. Ce cumulus évolue ensuite en cumulonimbus qui se distingue par sa hauteur, prenant de l’ampleur verticalement sur cinq à dix kilomètres. Sa couleur est sombre à la base (parfois même noire), sa forme est en enclume et sa température à son sommet est de -55 degrés. On l’appelle «nuage d’orage» car c’est lui qui met tout ce «bazar» ! Il peut même générer des trombes ou tornades très localisées qui ne durent que quelques minutes.
Quels sont les signes annonciateurs ?
L’air est moite, le vent quasiment nul. Il fait lourd. Le ciel s’assombrit avec la formation, justement, du fameux cumulonimbus. Des éclairs apparaissent loin. On entend le tonnerre. C’est au moment où ce cumulus se transforme en cumulonimbus que le processus orageux est irréversible ! Plus la base du nuage est sombre, plus son sommet s’élargit, plus il domine les autres nuages par sa hauteur, plus le vent soufflera fort ! Le phénomène peut être très violent.
Comment savoir si l’on risque de subir l’orage en mer ?
C’est toute la difficulté, même si les orages sont plus forts à terre et notamment sur les reliefs montagneux. Si l’orage n’est pas pile au-dessus du mât, il est bon de lever la tête et regarder la direction du vent en altitude afin de savoir s’il se dirige ou pas vers soi. La vitesse de propagation du son (le tonnerre) et de la lumière (éclairs) sont aussi des bons indices : le son se déplace à 300 mètres/seconde alors que la lumière va nettement plus vite, soit 300 000 kilomètres/seconde ! C’est pour cela qu’on distingue toujours l’éclair avant le tonnerre. La règle théorique stipule qu’il faut compter le nombre de secondes séparant les deux phénomènes. Normalement, pour connaître la distance de l’orage entre l’éclair et le tonnerre, on multiplie ce temps par trois. Par exemple, si l’on compte neuf secondes entre l’éclair et le tonnerre, l’orage sera alors à 9 x 300 mètres, soit 2,7 kilomètres ou 1,5 mille environ. Répéter cet exercice à chaque éclair permet de savoir si l’orage se rapproche ou s’éloigne. «Cette montée du vent peut être sans commune mesure avec le vent initial et les rafales monter à plus de 50 nœuds. La prévision, à très court terme certes, sera fiable à 100 % et la pluie ne va pas tarder. Les éclairs se produiront en même temps ou juste avant la pluie» explique le météorologue Louis Bodin, ancien routeur de Florence Arthaud et Paul Vatine et actuel prévisionniste sur RTL et TF1.
Est-il possible d’anticiper l’arrivée de l’orage ?
Pas facile ! Le plus souvent les rafales arrivent brutalement, et ce avant les éclairs et la pluie. Le vent peut monter en moins d’une minute à 40 nœuds et bien plus. Bref, il faut vite réduire la voilure et gagner au large si l’on est près de la côte, la visibilité étant souvent quasiment nulle. Pour éviter que la foudre «grille» toute l’électronique, certains préconisent d’utiliser la chaîne d’ancre en la mettant au tour du mât pour la relier à la masse de la mer. Mais manipuler la chaîne à cet instant est plus que risqué ! Le premier réflexe serait de débrancher tous les instruments mais en pratique c’est juste quasiment impossible à moins d’avoir un tableau électrique de type 60 pieds Imoca ou VO 65, donc facilement accessible.
Qu’est-ce que les grains orageux ?
Ce sont des grains violents et le plus souvent imprévisibles qui déboulent avant et pendant les orages. Autant la taille d’un grain «classique», suite à une rotation des vents au Nord-Ouest après le passage d’une perturbation atlantique, n’excède pas un mille, autant la taille des orages peut atteindre une dizaine de milles ou plus. Le front de rafales est très marqué dans sa partie avant (dans le sens de son déplacement) mais sa taille fait qu’il est difficile de l’éviter. De plus, outre le fait que le vent peut atteindre aisément 50 nœuds, il peut varier de 180 degrés ! Comme dit Jean-Yves Bernot, «on passe alors en mode survie en essayant de ne rien casser !» Tout est dit !